L’actrice et réalisatrice interprète une mère socialement déclassée, en conflit avec son fils adolescent, dans Une vie rêvée, de Morgan Simon. Un personnage avec lequel elle estime partager plus d’un point commun.
Pas de travail, pas d'argent, pas d'amoureux. Et pour tout entourage, un fils adolescent (Félix Lefebvre) qui ne cache pas la honte qu'elle lui inspire. Dans Une vie rêvée, de Morgan Simon,Valeria Bruni Tedeschiinterprète un rôle de prime abord à mille lieues d'elle. Actrice, réalisatrice, éduquée dans les privilèges d'une famille d'industriels et d'artistes, la Franco-Italienne n'a pas connu les fins de mois difficiles, le déclassement social, les convocations à la banque et chez France Travail. Pourtant, elle s'est trouvée, avec le personnage de Nicole (inspiré de la propre mère du réalisateur), de nombreux points communs: l'impression,la cinquantaine passée, d'être progressivement placée au rebut. Se sentir décalée dans son propre corps, au fur et à mesure que l'âge s'installe. L'angoisse de ne jamais être à la hauteur, d’être dépassée par l'amour inconditionnel qu'elle voue à ses enfants. Rencontre.
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Madame Figaro.- Qu'est ce qui vous a séduit dans le film dans la vie rêvée?
Valeria Bruni-Tedeschi.- Avant tout, la rencontre avec le réalisateur, Morgan Simon, que j'ai trouvé très habité par son projet, précis, très travailleur, avec un grand désir de faire le film avec moi. Ensuite, j'ai senti des liens avec le personnage de Nicole, qui m'a semblé à la fois complexe et évident.
Quels sont ces liens?
J'ai eu l'impression de comprendre sa solitude, son désarroi. Parfois, lorsqu'on arrive à la moitié de sa vie, on a l'impression qu'on est à la fin, qu'on a tout vécu, tout raté, qu'il n'y a plus rien devant et qu'on va mourir. Cette sensation-là, je la connais. Mais, parfois aussi, on renaît: c'est ce que j'ai trouvé beau dans le film, qui raconte une renaissance. Et aussi une chose simple, que j'ai toujours en tête: la roue tourne. C’est ce que je me dis quand je vois des gens arrogants, satisfaits de leur vie, qui donnent des leçons ou qui pensent qu'ils ont le pouvoir. L'arrogance me dérange beaucoup: c'est une erreur métaphysique très importante parce qu'elle nous fait oublier que l'on va tous mourir.
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Il y a une très belle scène où votre personnage se regarde dans une glace, a du mal à accepter son reflet et se met à essayer de «rectifier» son visage. Comment l'avez-vous abordée?
Il m’est très difficile de me regarder dans un miroir, dans un film ou au théâtre. Mon premier travail a donc porté là-dessus. Le second a été d'avoir le courage de me regarder vraiment. Chose que je ne fais plus trop dans la vie.
Pourquoi?
Je n’éprouve plus le besoin de me regarder: chez moi, j'éteins la lumière quand je rentre dans la salle de bains, je ne me maquille jamais et sur un plateau de tournage, je ne me regarde plus sur le combo. C'est compliqué: il y a une dichotomie entre ce que je ressens et ce que je vois. Je suis en bonne santé, je me sens très en forme, je suis donc très étonnée quand je me vois dans une glace. Il m'est arrivé de voir une vieille dame, dans le miroir d'un bar, et de me réaliser qu'il s'agissait de mon reflet. Ce que j’y vois, ce sont les marques de la vie, mes souffrances, toutes les personnes mortes, les séparations, les angoisses, les peurs. De la joie aussi, parce qu'il m'en reste un peu. Quant auxrides, je n'en vois pas tellement. Je vois plutôt un visage qui a changé de forme. Dans le film, mon personnage demande à son fils, très naïvement, de lui payer un lifting. La différence entre nous, c'est qu'elle ne peut pas se le payer alors que moi, oui. Mais ce que l'on a en commun, c'est que nous ne l'avons pas fait.
Valeria Bruni TedeschiJe n'aurais joué dans aucun des films que j'ai fait dernièrement si j'avais fait un lifting
Pourquoi, dans votre cas?
Parce que j'ai peur, avant tout, que ce soit raté. Ensuite, parce que j'ai constaté que je n'aurais joué dans aucun des films que j'ai fait dernièrement si j'avais fait un lifting. Parce que j’ai interprété des femmes âgées, ou qui ne peuvent pas se permettre une opération. Mon corps est mon instrument, fait de mes émotions, de mon inconscient. Est-ce que j'ai envie d'en changer? Peut-être un jour.
Vous n’excluez donc pas d’avoir recours à la chirurgie esthétique?
Non, je ne l'exclus pas. Et je ne juge pas celles qui y ont recours. Mais j'ai des réticences.
Comment avez-vous abordé le fait de jouer une femme déclassée socialement, vous qui venez d'un milieu très favorisé?
J'ai hésité, d'abord pour ne pas gêner Morgan. Je ne voulais pas qu'on lui reproche de m'avoir engagée, je lui ai dit de bien penser à son film avant tout. J'ai été très choquée des critiques qu'on a faites sur ma fille (Oumi Bruni Garrel, NDLR),lorsqu’elle a joué dans Neneh Superstar(sorti en 2022). On a reproché au metteur en scène d'avoir engagé une «fille de» au lieu d'une petite fille de banlieue, alors que les mêmes critiques ont dit qu'elle était par ailleurs extraordinaire. Je pense qu'un artiste, à partir du moment où il est profondément honnête, a travaillé profondément avec les personnes dont il parle et connaît leur douleur, a le droit de faire un film. Puis-je représenter une personne au chômage qui habite en banlieue, n'arrive pas à tenir ses fins de mois, à décrocher ne serait-ce qu’un petit travail? Pour des raisons des raisons intimes et secrètes, je m'en suis senti le droit. Et j’espère que les spectateurs me le reconnaîtront. Ces dernières années, j'ai joué dans 3 ou 4 films dans lesquels j'aime des femmes. Et pourtant, je ne me déclare pas comme homosexuelle.
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Votre personnage entame d'ailleurs une nouvelle histoire d'amour, à plus de cinquante ans... Le sujet de l'âge et de la sexualité, abordé dans le film, vous touche-t-il particulièrement?
Complètement. C'est un sujet féministe. Je pense qu'il n'y a pas d'âge pour une femme se sente aimée, séduisante, belle, jeune. Moi, je me sens réellement sans âge. Ce sont des moments, des sensations. Aujourd'hui, je me sens comme si j'avais 40 ans. Hier soir, j'avais l'impression d'être peu plus âgée que ma mère, d'avoir 96 ans. Peut-être que demain j'aurai 12 ans ou que je vais pleurer comme quand j'avais 3 ans. Il n'y a pas d'âge pour qu'une femme, ou même qu'un homme, se sente séduisant, même si pour eux, c'est quand même moins cruel. Cela tient à la ménopause: si l'on pouvait avoir des enfants plus tard, je pense que tout changerait. Ne plus avoir un projet d'enfant à proposer un homme, c'est comme si l'on n'était plus solvable. Plus bonne à rien.
Une vie rêvée raconte l'histoire d'un fils déçu par sa mère. Comment avez-vous approché cette relation complexe?
Pour moi c'est assez facile, je me sens assez décevante.
Vraiment, même avec vos enfants?
Oui, avec tout le monde. En tout cas, il n'est pas difficile de faire resurgir en moi le sentiment d'être inapte, pas à la hauteur, honteuse. De faire beaucoup d'efforts et de faire tout travers. De trop aimer, de mal aimer. Je ne suis pas meilleure que le personnage de Nicole, absolument pas. Par exemple, elle entretient un rapport très physique avec son fils: moi aussi, j'aime beaucoup embrasser mes enfants. Parfois je me dis que c'est trop, qu'il faudrait que je sois plus froide. Ils grandissent et me repoussent tout le temps. Peut-être ne suis-je pas à la bonne distance.
Comment dépassez-vous ce sentiment d'être inapte?
Parce que je suis responsable de mes enfants: je pourrais être, disons, plus folle, plus nulle, mais avec eux je dois l'être un peu moins. Et ce sentiment, je l'ai aussi accepté grâce à mon travail. J’y jette tous mes défauts. Et ils deviennent du miel.